Les mêmes yeux que toi
8 novembre 2012
Critique du spectacle Les mêmes yeux que toi d'Anne Plamondon présenté par l'Agora de la danse.
- Mandana Anahita (Bio)
Anne Plamondon. Crédit photo : Michael Slobodian.
« J’enregistre la réalité mais la réalité me laisse tomber…. » Une frontière, un espace, un passage… comment définir l’abysse entre la réalité et l’invisible?
Anne raconte, elle raconte son histoire, une histoire qui parle de son père, un témoignage en mouvement, en geste, en figure de style. Cette histoire parle de ce passage, cet espace, cette frontière qui nous habite tous entre la réalité et ce qu’on appelle « l’imaginaire », qui pourtant pour les plus sensibles d’entre nous n’est qu’une nouvelle fenêtre vers une autre lumière, un trésor créatif, un sixième sens. Mais pour les plus pragmatiques, il s’agit de la schizophrénie. Entendre des voix, et voir des lumières que d’autres ne voient pas, c’est interdit, c’est impossible.
Avec prestance, assurance, agilité et souplesse, Anne nous emporte dans ce canal invisible qui l’air de rien devient de plus en plus réel et visible au terme du spectacle. Et si finalement on y voit mieux, plus clair lorsqu’on laisse de l’espace à ce vide? Qui n’a jamais ressenti ce trou, autour du nombril, cet espace creux où réside la peur, la tristesse, le désarroi, la honte, une déchirure abrupte et sèche, où les mots ne peuvent expliquer cet abîme. Au cœur de magnifiques phrasés élancés et harmonieux, Anne transfigure ces gestes et les colorent de délire, de paranoïa, d’hallucinations. Elle réussit à nous faire vivre tous ces états où l’être n’est plus qu’en milles morceaux, décortiqués sous nos propres yeux.
Comment faire sens lorsqu’il n’y en a pas? Une décomposition littéralement dansée fait surface, et devient la trame scénique, propageant une force douce et une puissance sans voix sur la scène. L’ancienne danseuse des Grands Ballets Canadiens sait très bien mettre à l’épreuve son agilité et sa grâce avec la vacuité et l’égarement de son corps qui s’échafaudent sur scène. Il n’y a aucun doute que la danseuse voltige entre le ballet, la danse contemporaine, le hip hop, et même le contact-improvisation, dans une parfaite présence kinesthésique, lui offrant l’aisance de ramifier son écriture pour lui donner cette parure unique et personnelle. Défier la gravité en absorbant la chute, suspendre dans la répétition, précision dans la vitesse, un ancrage dans le déséquilibre, comment est-ce possible?
Donc, il y a elle, il y a lui, et ça. Cette entité subtile qui ne fait rien, ne dit rien, ne parle pas, mais pourtant nous le sentons tous, il y a un troisième élément dans l’espace.
Puis c’est à ce moment précis, où tout semble déconstruit et anéanti, que survient un univers scénique, sublimement concocté par le travail de Marie Brassard, et le directeur technique Yan Lee Chan, qui transforme notre réalité et diffuse dans l’atmosphère un climat cinématographique. C’est fascinant comment le pouvoir de la lumière peut affecter notre perception spatio-temporelle et nos sens! Serions-nous tous en plein délire collectif?
Non pas du tout : « L’œil par essence produit un monde intérieur relatif ayant ses propres métriques. (…) On obtient donc un monde géographique sans référence au plan physique habituel. Cela s’applique également à la perception du temps. Cette idée simple donne lieu à un monde perçu dans l’espace et le temps qui s’oppose alors au monde physique classiquement admis. Cette idée est très ancienne car elle remonte à Kant (1781) qui proposait de remettre en cause la "sensoria dei" pour une "sensoria homonis" (la métrique physique pour la métrique de l'homme). » (Anonyme)
Enfin, c’est avec splendeur qu’Anne nous cède avec plénitude cet état d’abandon et d’amour qu’elle rencontre avec son père, enrichie par la magnifique composition musicale de Njo Kong Kie et Garth Stevenson, un message translucide et vibrant : embrassons le monde invisible et prêtons-lui une oreille attentive, une sérénité lumineuse peut en ressurgir! Suffit-il de changer notre perspective? Peut-être devrions-nous calibrer notre lecture du monde réel à la physique quantique, cet espace où tout est possible?
Anne Plamondon participe à des projets de danse sur film et a notamment remporter le Golden Sheaf Award 2010 au Festival du film de Yorkton. Elle a fait partie de la sélection officielle de CINEDANS Amsterdam en tournée mondiale en 2011. « Les Mêmes yeux que toi » jusqu’au 10 novembre 2012 à l’Agora de la Danse, une pièce sublime à revoir et revoir et revoir et revoir.
Le spectacle est complet. Il y a un supplémentaire le 10 novembre à 16h.
Extraits
Anne raconte, elle raconte son histoire, une histoire qui parle de son père, un témoignage en mouvement, en geste, en figure de style. Cette histoire parle de ce passage, cet espace, cette frontière qui nous habite tous entre la réalité et ce qu’on appelle « l’imaginaire », qui pourtant pour les plus sensibles d’entre nous n’est qu’une nouvelle fenêtre vers une autre lumière, un trésor créatif, un sixième sens. Mais pour les plus pragmatiques, il s’agit de la schizophrénie. Entendre des voix, et voir des lumières que d’autres ne voient pas, c’est interdit, c’est impossible.
Avec prestance, assurance, agilité et souplesse, Anne nous emporte dans ce canal invisible qui l’air de rien devient de plus en plus réel et visible au terme du spectacle. Et si finalement on y voit mieux, plus clair lorsqu’on laisse de l’espace à ce vide? Qui n’a jamais ressenti ce trou, autour du nombril, cet espace creux où réside la peur, la tristesse, le désarroi, la honte, une déchirure abrupte et sèche, où les mots ne peuvent expliquer cet abîme. Au cœur de magnifiques phrasés élancés et harmonieux, Anne transfigure ces gestes et les colorent de délire, de paranoïa, d’hallucinations. Elle réussit à nous faire vivre tous ces états où l’être n’est plus qu’en milles morceaux, décortiqués sous nos propres yeux.
Comment faire sens lorsqu’il n’y en a pas? Une décomposition littéralement dansée fait surface, et devient la trame scénique, propageant une force douce et une puissance sans voix sur la scène. L’ancienne danseuse des Grands Ballets Canadiens sait très bien mettre à l’épreuve son agilité et sa grâce avec la vacuité et l’égarement de son corps qui s’échafaudent sur scène. Il n’y a aucun doute que la danseuse voltige entre le ballet, la danse contemporaine, le hip hop, et même le contact-improvisation, dans une parfaite présence kinesthésique, lui offrant l’aisance de ramifier son écriture pour lui donner cette parure unique et personnelle. Défier la gravité en absorbant la chute, suspendre dans la répétition, précision dans la vitesse, un ancrage dans le déséquilibre, comment est-ce possible?
Donc, il y a elle, il y a lui, et ça. Cette entité subtile qui ne fait rien, ne dit rien, ne parle pas, mais pourtant nous le sentons tous, il y a un troisième élément dans l’espace.
Puis c’est à ce moment précis, où tout semble déconstruit et anéanti, que survient un univers scénique, sublimement concocté par le travail de Marie Brassard, et le directeur technique Yan Lee Chan, qui transforme notre réalité et diffuse dans l’atmosphère un climat cinématographique. C’est fascinant comment le pouvoir de la lumière peut affecter notre perception spatio-temporelle et nos sens! Serions-nous tous en plein délire collectif?
Non pas du tout : « L’œil par essence produit un monde intérieur relatif ayant ses propres métriques. (…) On obtient donc un monde géographique sans référence au plan physique habituel. Cela s’applique également à la perception du temps. Cette idée simple donne lieu à un monde perçu dans l’espace et le temps qui s’oppose alors au monde physique classiquement admis. Cette idée est très ancienne car elle remonte à Kant (1781) qui proposait de remettre en cause la "sensoria dei" pour une "sensoria homonis" (la métrique physique pour la métrique de l'homme). » (Anonyme)
Enfin, c’est avec splendeur qu’Anne nous cède avec plénitude cet état d’abandon et d’amour qu’elle rencontre avec son père, enrichie par la magnifique composition musicale de Njo Kong Kie et Garth Stevenson, un message translucide et vibrant : embrassons le monde invisible et prêtons-lui une oreille attentive, une sérénité lumineuse peut en ressurgir! Suffit-il de changer notre perspective? Peut-être devrions-nous calibrer notre lecture du monde réel à la physique quantique, cet espace où tout est possible?
Anne Plamondon participe à des projets de danse sur film et a notamment remporter le Golden Sheaf Award 2010 au Festival du film de Yorkton. Elle a fait partie de la sélection officielle de CINEDANS Amsterdam en tournée mondiale en 2011. « Les Mêmes yeux que toi » jusqu’au 10 novembre 2012 à l’Agora de la Danse, une pièce sublime à revoir et revoir et revoir et revoir.
Le spectacle est complet. Il y a un supplémentaire le 10 novembre à 16h.
Extraits