Symphonie 5.1 de retour à l'Agora de la danse
14 avril 2017
Article à propos du spectacle Symphonie 5.1 d'Isabelle Van Grimde présenté par l'Agora de la danse.
- Oliver Koomsatira
L’Agora de la danse présente à nouveau Symphonie 5.1 de la compagnie Van Grimde Corps Secrets, pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance de voir le spectacle l’an dernier. Nous nous sommes entretenus avec la chorégraphe Isabelle Van Grimde afin d’en apprendre un peu plus sur l’univers de son oeuvre. Dans un premier temps, nous lui avons demandé de quelle manière le réel et la fiction s’amalgament-ils dans la pièce. « Le dialogue entre réel et fiction dans Symphonie 5.1 relève de l’ambiguïté que l’on crée entre des corps physiques et des corps virtuels. Des êtres de chair sont placés dans un environnement numérique abstrait, concret (avec les clones par exemple) ou onirique, avec lequel ils peuvent interagir. On souligne par là le contraste entre la chair (la matière) et la virtualité. La présence physique, vivante et agissante des danseurs sur scène se confond parfois totalement avec celle de leurs clones numériques. Donc plus largement, la pièce pose la question du destin du corps physique dans un monde où le virtuel prend de plus en plus de place, de l’incidence des biotechnologies sur le corps humain, du clonage, etc. Sur le plateau, image et corps se mêlent, jusqu’à ne faire qu’un. Et cela résonne pour moi avec le monde d’aujourd’hui où nos identités physiques et virtuelles entretiennent un rapport de plus en plus complexe, et soulèvent des questionnements sur le devenir du corps. A-t-il encore sa place et si oui, quelle est-elle ? Ou, au contraire, l’image peut-elle suffire ? Comment traiter ces nouvelles réalités depuis ma posture de chorégraphe, qui met le corps vivant au centre de l’équation ? »
De plus, elle ajoute que la présence de danseurs adultes et adolescents a fait surgir un « dialogue troublant entre des figures adultes et des figures enfantines ». Cela crée de nombreux scénarios :
« Sont-ils les membres d’une même famille ? Les enfants sont-ils des projections des adultes dans un autre espace temps ? La distribution multi-générationnelle de la pièce colore sa dramaturgie d’un questionnement sur le temps. Si des éléments narratifs se sont créés d’eux mêmes, ils demeurent éclatés, fractionnaires, comme des sortes de bulles poétiques qui éveillent l’imaginaire. Je crois que la pièce fait naître des images, développe des idées. »
De plus, elle ajoute que la présence de danseurs adultes et adolescents a fait surgir un « dialogue troublant entre des figures adultes et des figures enfantines ». Cela crée de nombreux scénarios :
« Sont-ils les membres d’une même famille ? Les enfants sont-ils des projections des adultes dans un autre espace temps ? La distribution multi-générationnelle de la pièce colore sa dramaturgie d’un questionnement sur le temps. Si des éléments narratifs se sont créés d’eux mêmes, ils demeurent éclatés, fractionnaires, comme des sortes de bulles poétiques qui éveillent l’imaginaire. Je crois que la pièce fait naître des images, développe des idées. »
Depuis des siècles, la notion d’identité est au coeur de la pensée humaine et ce dans divers domaines: la psychologie, la philosophie, la sociologie et les arts s’y intéressant sous divers angles. Dans l’oeuvre Symphonie 5.1, il est d’ailleurs question de fluctuations identitaires. De quelle manière la créatrice traite-t-elle des aspects identitaires? « L’image et la représentation du corps se complexifient avec les progrès scientifiques et technologiques. Dans l’espace virtuel auquel nous avons accès par internet, nous ne pouvons projeter que notre image. Le corps physique, comme toute interaction avec le vivant, y est exclu. Nos nombreuses identités virtuelles amènent donc une forme de fluctuation dans nos identités, qui ne peuvent être que plurielles d’ailleurs. L’identité passe aujourd’hui de plus en plus par l’image : on se crée des peaux, voire des avatars dans les réseaux sociaux ou les jeux en ligne. On devient de plus en plus les éditorialistes de nos vies sur internet en créant des images, des récits, des évènements à travers l’écran, qui est lui-même une sorte d’extension de nos corps. On s’identifie tellement aux ordinateurs que certains considèrent la conscience comme des données que l’on pourrait transférer sur un support informatique. Dans Symphonie 5.1 plane déjà, à l’état embryonnaire, cette dimension du métissage de nos identités avec des réalités virtuelles qui nous affranchissent de l’effet du temps et des lois physiques sur le corps. »
Étant une compagnie qui fait usage de différentes technologies depuis quelques années, nous lui avons demandé de décrire le rôle de la technologie dans Symphonie 5.1. « De nouvelles façons de créer s’ouvrent à moi au fur et à mesure de mes aventures transdisciplinaires, ce qui est enivrant. Le travail avec Jérôme Delapierre, artiste en design d’interaction qui crée les dispositifs technologiques et les environnements visuels de Symphonie 5.1, m’autorise à débrider mon imaginaire. Les technologies permettent de défaire les limites temporelles, spatiales et celles de l’image du corps. C’est un nouvel espace d’expression et de création, qui me pousse à amener de nouveaux questionnements sur scène. Particulièrement, l’usage artistique des technologies numériques permet de rendre compte de la complexité de l’époque dans laquelle nous vivons et m’invite à adopter une approche poétique d’enjeux des plus actuels.
L’environnement visuel de Symphonie 5.1 combine divers types d’images : photos, vidéos, images médicales comme des scans du cerveau ou des codes ADN. Et à ces combinaisons d’images s’ajoutent des paysages numériques, créés par Jérôme. La plupart des tableaux de Symphonie 5.1 sont générés en temps réel et fonctionnent en lien avec un système de capture de mouvement par caméra infrarouge. Ce système permet aux danseurs, et par moments aux musiciens, de transformer leur environnement visuel. Quant à Jérôme, il peut à mesure qu’il pilote le dispositif technologique de la pièce, générer en direct des interactions avec les danseurs, et instaurer alors un véritable dialogue, tantôt en synchronie tantôt en contraste, entre les danseurs et le médium numérique. Par exemple, en changeant la perspective d’un environnement donné, il fait basculer le corps dans une autre relation à l’espace et lui donne un nouveau contexte pour évoluer. »
Étant une compagnie qui fait usage de différentes technologies depuis quelques années, nous lui avons demandé de décrire le rôle de la technologie dans Symphonie 5.1. « De nouvelles façons de créer s’ouvrent à moi au fur et à mesure de mes aventures transdisciplinaires, ce qui est enivrant. Le travail avec Jérôme Delapierre, artiste en design d’interaction qui crée les dispositifs technologiques et les environnements visuels de Symphonie 5.1, m’autorise à débrider mon imaginaire. Les technologies permettent de défaire les limites temporelles, spatiales et celles de l’image du corps. C’est un nouvel espace d’expression et de création, qui me pousse à amener de nouveaux questionnements sur scène. Particulièrement, l’usage artistique des technologies numériques permet de rendre compte de la complexité de l’époque dans laquelle nous vivons et m’invite à adopter une approche poétique d’enjeux des plus actuels.
L’environnement visuel de Symphonie 5.1 combine divers types d’images : photos, vidéos, images médicales comme des scans du cerveau ou des codes ADN. Et à ces combinaisons d’images s’ajoutent des paysages numériques, créés par Jérôme. La plupart des tableaux de Symphonie 5.1 sont générés en temps réel et fonctionnent en lien avec un système de capture de mouvement par caméra infrarouge. Ce système permet aux danseurs, et par moments aux musiciens, de transformer leur environnement visuel. Quant à Jérôme, il peut à mesure qu’il pilote le dispositif technologique de la pièce, générer en direct des interactions avec les danseurs, et instaurer alors un véritable dialogue, tantôt en synchronie tantôt en contraste, entre les danseurs et le médium numérique. Par exemple, en changeant la perspective d’un environnement donné, il fait basculer le corps dans une autre relation à l’espace et lui donne un nouveau contexte pour évoluer. »
Elle nous donne un peu plus de détails concernant le processus de création, qui s’est développé sur trois ans. Au cours de cette période, l’équipe a d’ailleurs fait face à de nombreux défis : « Apprivoiser le fait de travailler avec des jeunes issus de l’École supérieure de ballet du Québec, favoriser l’intégration d’un univers numérique interactif et sur mesure, rendre les dispositifs technologiques invisibles... Travailler avec les technologies numériques exigeait que nous ayons accès à un laboratoire équipé ou à un théâtre. Nous avons bénéficié de plusieurs résidences de création à l’Agora de la danse. La création s’est donc articulée autour de mes collaborations avec les danseurs, mais aussi avec Jérôme Delapierre, et avec le tandem formé par Thom Gossage et Tim Brady à la composition et l’interprétation musicale. Nous avons tous travaillé à tisser une matrice qui permet des interactions fines entre les médiums engagés.
Plus je collabore avec d’autres créateurs, plus mon rôle de directrice artistique devient important. Qu’il s’agisse d’artistes visuels ou médiatiques, de compositeurs ou même de scientifiques, comme c’est le cas dans la série Le corps en question(s), collaborer si étroitement avec des gens extérieurs à la danse exige que j’approfondisse ma compréhension de leurs disciplines respectives pour être capable de bien guider la création. Dans Symphonie 5.1 comme dans Eve 2050 – œuvre triptyque dont nous entamons cette année la création – un des pièges à éviter est celui de l’émerveillement face à quelque chose de nouveau pour moi, mais qui a peut-être déjà été fait 100 fois. Je dois toujours m’assurer de la cohérence du tout, tout en facilitant l’éclosion des multiples aspects de l’œuvre. Cela veut dire que je dois être à l’écoute de ce qui se passe, le nourrir et selon les cas, laisser plus de place à tel ou tel médium. Mais quel que soit le niveau de transdisciplinarité des œuvres que je signe et le degré de présence de la danse, ça reste chorégraphique, tout simplement parce qu’une chorégraphe est à l’origine de la vision du monde qui s’exprime. »
Plus je collabore avec d’autres créateurs, plus mon rôle de directrice artistique devient important. Qu’il s’agisse d’artistes visuels ou médiatiques, de compositeurs ou même de scientifiques, comme c’est le cas dans la série Le corps en question(s), collaborer si étroitement avec des gens extérieurs à la danse exige que j’approfondisse ma compréhension de leurs disciplines respectives pour être capable de bien guider la création. Dans Symphonie 5.1 comme dans Eve 2050 – œuvre triptyque dont nous entamons cette année la création – un des pièges à éviter est celui de l’émerveillement face à quelque chose de nouveau pour moi, mais qui a peut-être déjà été fait 100 fois. Je dois toujours m’assurer de la cohérence du tout, tout en facilitant l’éclosion des multiples aspects de l’œuvre. Cela veut dire que je dois être à l’écoute de ce qui se passe, le nourrir et selon les cas, laisser plus de place à tel ou tel médium. Mais quel que soit le niveau de transdisciplinarité des œuvres que je signe et le degré de présence de la danse, ça reste chorégraphique, tout simplement parce qu’une chorégraphe est à l’origine de la vision du monde qui s’exprime. »
Pour terminer, beaucoup de projets attendent la compagnie et la chorégraphe suite à la présentation de l’oeuvre à l’Agora de la danse : « Premièrement, Symphonie 5.1 part en tournée internationale dès le mois de mai, pour plusieurs représentations à la Maison des Arts de Créteil en région parisienne, haut lieu de la danse contemporaine en France, et une date au Stéréolux de Nantes, institution dédiée à la diffusion des arts vivants et numériques. Cette tournée se poursuivra dans les saisons à venir, à travers le Canada, l’Europe et même l’Asie.
Le virage numérique opéré par la compagnie Van Grimde Corps Secrets en 2008 nous a amené sur des terrains surprenants, et les partenariats que l’on a développés depuis lors ont fait naître des collaborations fructueuses. Nous poursuivons, avec notre prochaine œuvre, notre travail avec Jérôme Delapierre et le compositeur Thom Gossage, auquel s’ajoutera l’ingénieur Frédéric Filteau. Avec Eve 2050, je creuserai mes questionnements sur les différentes manières de faire rayonner la danse auprès du public. Démarche qui anime le travail de la compagnie depuis plusieurs années, mais qui a trouvé son point d’orgue avec la série Le corps en question(s), œuvre qui se déployait en galerie, sur le net et dans un recueil d’essais. Là, il s’agit de brosser le portrait d’Eve dans le futur proche des années 2050 à travers un feuilleton numérique en 5 épisodes (qui sera diffusé sur la plateforme numérique eve2050.com en plus des plateformes de type YouTube), une installation chorégraphique interactive et une pièce scénique. Les trois volets de l’œuvre verront le jour de l’été 2017 à l’été 2019. Les questions de l’identité, du statut du corps dans une société de plus en plus métissée, et de la place du corps physique dans ce monde où le réel s’hybride du virtuel, sont à la base d’Eve 2050.
Aujourd’hui, notre nouveau studio, l’Espace Corps Secrets, nous permet de réaliser nos propres essais chez nous. Il abrite d’ores et déjà les tous premiers laboratoires pour la création de Eve 2050. L’autre grand projet de la compagnie, c’est de faire bénéficier, dans les années à venir, la communauté artistique et plus particulièrement la communauté de la danse de nos équipements et expertises. Nous souhaitons en effet construire, avec plusieurs partenaires, une programmation de conférences, d’ateliers et de résidences pour que l’Espace Corps Secrets puisse réellement se déployer comme pôle de recherche et d’innovation sur le dialogue entre corps et nouvelles technologies. »
Rendez-vous à l’Agora de la danse du 19 au 21 avril à 19 h. Pour plus de détails sur le spectacle visitez le site de l’Agora. http://agoradanse.com/evenement/symphonie-5-1/
Le virage numérique opéré par la compagnie Van Grimde Corps Secrets en 2008 nous a amené sur des terrains surprenants, et les partenariats que l’on a développés depuis lors ont fait naître des collaborations fructueuses. Nous poursuivons, avec notre prochaine œuvre, notre travail avec Jérôme Delapierre et le compositeur Thom Gossage, auquel s’ajoutera l’ingénieur Frédéric Filteau. Avec Eve 2050, je creuserai mes questionnements sur les différentes manières de faire rayonner la danse auprès du public. Démarche qui anime le travail de la compagnie depuis plusieurs années, mais qui a trouvé son point d’orgue avec la série Le corps en question(s), œuvre qui se déployait en galerie, sur le net et dans un recueil d’essais. Là, il s’agit de brosser le portrait d’Eve dans le futur proche des années 2050 à travers un feuilleton numérique en 5 épisodes (qui sera diffusé sur la plateforme numérique eve2050.com en plus des plateformes de type YouTube), une installation chorégraphique interactive et une pièce scénique. Les trois volets de l’œuvre verront le jour de l’été 2017 à l’été 2019. Les questions de l’identité, du statut du corps dans une société de plus en plus métissée, et de la place du corps physique dans ce monde où le réel s’hybride du virtuel, sont à la base d’Eve 2050.
Aujourd’hui, notre nouveau studio, l’Espace Corps Secrets, nous permet de réaliser nos propres essais chez nous. Il abrite d’ores et déjà les tous premiers laboratoires pour la création de Eve 2050. L’autre grand projet de la compagnie, c’est de faire bénéficier, dans les années à venir, la communauté artistique et plus particulièrement la communauté de la danse de nos équipements et expertises. Nous souhaitons en effet construire, avec plusieurs partenaires, une programmation de conférences, d’ateliers et de résidences pour que l’Espace Corps Secrets puisse réellement se déployer comme pôle de recherche et d’innovation sur le dialogue entre corps et nouvelles technologies. »
Rendez-vous à l’Agora de la danse du 19 au 21 avril à 19 h. Pour plus de détails sur le spectacle visitez le site de l’Agora. http://agoradanse.com/evenement/symphonie-5-1/