Questions en rafale avec Aglaia Romanovskaia
28 octobre 2013
Hiver en représentation du 29 octobre au 2 novembre au Théâtre Prospero.

1) Comment avez-vous approché la danse dans un contexte où la pièce de théâtre était déjà écrite et structurée?
Je me suis adressée à la danse quand j'ai compris que les moyens du théâtre ne me suffisaient pas pour rendre tout le potentiel émotionnel contenu dans cette pièce. Le texte de la pièce est comme un sommet de l'iceberg qui nécessite d'être mis à découvert par un autre langage que celui de la réalité théâtrale. Je me suis adressée à la danse donc comme à une plume, c.a.d comme à un moyen d'écrire sur la scène, ce que je ne pourrais jamais dire avec des mots de la pièce qui se trouvaient en-dessous ou par-dessus des mots de la pièce. La danse me permet d'ouvrir la pièce comme on ouvre un thé exotique, un bon vin, un aliment complexe. La danse est l'expression même des choses du non-dit, du meta texte, tandis que le texte écrit est l'impression de quelque chose qui a traversé l'auteur. À la fin, cela résulte dans une oeuvre impressionniste (ou expressionniste si l'on veut) plus qu’illustrative, dans une sorte d'écriture scénique originale, où les limites entre danse et théâtre sont effacées. J'aime cela, effacer les limites entre les disciplines. La danse est un langage à part entière que vient compléter la langue qui sort d'une bouche, d'une tête. Elle aussi, d'ailleurs, devrait sortir d'un corps vivant.
2) Qu'est-ce qui vous intéresse dans le mouvement et le travail chorégraphique, au-delà du théâtre physique?
Ce qui m'intéresse entres autres est la systématisation chorégraphique. J'organise souvent mes travaux dans des duos, des trios ou des scènes de choeur, qui obéissent à des règles de jeu établies à l'avance. Ces règles, nous les trouvons dans des improvisations guidées. De ce fait, la scène se déroule suivant les règles établies au plateau, dans le ici et maintenant de la scène, et non pas selon l'histoire racontée, dans un espace imaginaire de la pièce écrite. Je privilégie la réalité du plateau à la fiction du texte écrit, ainsi que l'acte de dire à l'histoire dite. La danse me permet aussi d'aller dans une abstraction qui s'étend au-delà du réalisme, comme on a l'habitude de le percevoir au théâtre, et en même temps il m'ancre dans le concret d'un corps vivant dans un temps et un espace concret de la scène. Ceci est un paradoxe. La danse me permet de m'éloigner du geste quotidien, le transposer dans un geste psychologique sans entrer dans une psychologie quelconque. La danse me permet d'inventer le langage avec lequel on va traduire l'oeuvre et le rendre lisible pour la scène.
3) On peut lire qu'Hiver est «une histoire qui n’en est pas une», qu'est-ce qu'on entend par là?
Oui et non. Hiver est une histoire en quelque sorte, parce qu'elle contient des éléments d'une histoire. Certes. Il y a une ébauche d'une rencontre, il y a deux lieux, il y a des événements. Mais en même temps les éléments que l'auteur nous livre ne sont pas suffisants pour se fier à ce que l'histoire va nous transporter, nous faire transcender. Ici, nous nous trouvons vite sur notre faim. Et là, c'est au metteur en scène de se débrouiller de raconter l'invisible de l'iceberg pour que le spectateur puisse recevoir une histoire quelconque et partir avec la sensation qu'on lui a dit quelque chose sur lui. Je pense que c'est là le défi et la difficulté de cette pièce. Elle tend un piège et on marche là-dedans si on se fie uniquement à des fausses pistes que l'auteur nous donne. Moi, j'ai eu l'idée de faire recours à la danse justement pour écrire une histoire que j'ai perçu entre les lignes de Jon Fosse.
4) Le spectacle est décrit comme étant «ludique et formaliste», pouvez-vous élaborer dans quelle mesure c'est le cas?
Déjà il est écrit avec une forme très précise qu'on a essayé de suivre à la lettre: quatre tableaux et une écriture saccadée, mesurée, comme de la musique contemporaine. Donc, on a joué beaucoup avec la forme pour en extraire un sens - une approche purement poétique, comme dans la poésie le sens souvent se trouve dans la forme des strophes. Nous avons aussi cherché des formes pour rendre les différentes atmosphères du texte : une atmosphère nocturne, menaçante, agressive, sexuée, intime, etc. Nous avons essayé de trouver des jeux de scène pour faire résonner ce texte, donc on est allé dans des délires dans le sens Déleuzien (un artiste, il doit délirer le monde, comme il disait) et on a cherché des façons ludiques de rendre les relations entre les personnages au plateau. Ludique dans le sens «jeu d'enfant», où on joue avec le texte au lieu de jouer uniquement le texte.
5) Avez-vous d'autres infos à partager avec nos lecteurs à propos de l'oeuvre, des anecdotes, du processus?
C'est toujours intéressant d'observer comment les deux disciplines se diffèrent au début et comment elles se rapprochent à la fin. C'est exquis de voir les danseurs s'épanouir dans la parole et un jeu théâtral et aussi voir les acteurs se dégourdir le corps et agir en danseurs. Je les observe s'échauffer et je vois comment les acteurs apprennent aux danseurs de s'échauffer l'appareil vocal avec tout ce que cela implique et je vois les danseurs expliquer le lego du corps aux acteurs et comment le mettre en marche avant un spectacle avec des techniques que la danse emploie. Ainsi, les limites s'effacent et je trouve ça prodige - humainement, et artistiquement.
http://www.theatreprospero.com/spectacle/hiver/
Interprètes dans le spectacle : Milaine Deroy, Kim Henry, Oliver Koomsatira et Alec Serra-Wagneur.
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Je me suis adressée à la danse quand j'ai compris que les moyens du théâtre ne me suffisaient pas pour rendre tout le potentiel émotionnel contenu dans cette pièce. Le texte de la pièce est comme un sommet de l'iceberg qui nécessite d'être mis à découvert par un autre langage que celui de la réalité théâtrale. Je me suis adressée à la danse donc comme à une plume, c.a.d comme à un moyen d'écrire sur la scène, ce que je ne pourrais jamais dire avec des mots de la pièce qui se trouvaient en-dessous ou par-dessus des mots de la pièce. La danse me permet d'ouvrir la pièce comme on ouvre un thé exotique, un bon vin, un aliment complexe. La danse est l'expression même des choses du non-dit, du meta texte, tandis que le texte écrit est l'impression de quelque chose qui a traversé l'auteur. À la fin, cela résulte dans une oeuvre impressionniste (ou expressionniste si l'on veut) plus qu’illustrative, dans une sorte d'écriture scénique originale, où les limites entre danse et théâtre sont effacées. J'aime cela, effacer les limites entre les disciplines. La danse est un langage à part entière que vient compléter la langue qui sort d'une bouche, d'une tête. Elle aussi, d'ailleurs, devrait sortir d'un corps vivant.
2) Qu'est-ce qui vous intéresse dans le mouvement et le travail chorégraphique, au-delà du théâtre physique?
Ce qui m'intéresse entres autres est la systématisation chorégraphique. J'organise souvent mes travaux dans des duos, des trios ou des scènes de choeur, qui obéissent à des règles de jeu établies à l'avance. Ces règles, nous les trouvons dans des improvisations guidées. De ce fait, la scène se déroule suivant les règles établies au plateau, dans le ici et maintenant de la scène, et non pas selon l'histoire racontée, dans un espace imaginaire de la pièce écrite. Je privilégie la réalité du plateau à la fiction du texte écrit, ainsi que l'acte de dire à l'histoire dite. La danse me permet aussi d'aller dans une abstraction qui s'étend au-delà du réalisme, comme on a l'habitude de le percevoir au théâtre, et en même temps il m'ancre dans le concret d'un corps vivant dans un temps et un espace concret de la scène. Ceci est un paradoxe. La danse me permet de m'éloigner du geste quotidien, le transposer dans un geste psychologique sans entrer dans une psychologie quelconque. La danse me permet d'inventer le langage avec lequel on va traduire l'oeuvre et le rendre lisible pour la scène.
3) On peut lire qu'Hiver est «une histoire qui n’en est pas une», qu'est-ce qu'on entend par là?
Oui et non. Hiver est une histoire en quelque sorte, parce qu'elle contient des éléments d'une histoire. Certes. Il y a une ébauche d'une rencontre, il y a deux lieux, il y a des événements. Mais en même temps les éléments que l'auteur nous livre ne sont pas suffisants pour se fier à ce que l'histoire va nous transporter, nous faire transcender. Ici, nous nous trouvons vite sur notre faim. Et là, c'est au metteur en scène de se débrouiller de raconter l'invisible de l'iceberg pour que le spectateur puisse recevoir une histoire quelconque et partir avec la sensation qu'on lui a dit quelque chose sur lui. Je pense que c'est là le défi et la difficulté de cette pièce. Elle tend un piège et on marche là-dedans si on se fie uniquement à des fausses pistes que l'auteur nous donne. Moi, j'ai eu l'idée de faire recours à la danse justement pour écrire une histoire que j'ai perçu entre les lignes de Jon Fosse.
4) Le spectacle est décrit comme étant «ludique et formaliste», pouvez-vous élaborer dans quelle mesure c'est le cas?
Déjà il est écrit avec une forme très précise qu'on a essayé de suivre à la lettre: quatre tableaux et une écriture saccadée, mesurée, comme de la musique contemporaine. Donc, on a joué beaucoup avec la forme pour en extraire un sens - une approche purement poétique, comme dans la poésie le sens souvent se trouve dans la forme des strophes. Nous avons aussi cherché des formes pour rendre les différentes atmosphères du texte : une atmosphère nocturne, menaçante, agressive, sexuée, intime, etc. Nous avons essayé de trouver des jeux de scène pour faire résonner ce texte, donc on est allé dans des délires dans le sens Déleuzien (un artiste, il doit délirer le monde, comme il disait) et on a cherché des façons ludiques de rendre les relations entre les personnages au plateau. Ludique dans le sens «jeu d'enfant», où on joue avec le texte au lieu de jouer uniquement le texte.
5) Avez-vous d'autres infos à partager avec nos lecteurs à propos de l'oeuvre, des anecdotes, du processus?
C'est toujours intéressant d'observer comment les deux disciplines se diffèrent au début et comment elles se rapprochent à la fin. C'est exquis de voir les danseurs s'épanouir dans la parole et un jeu théâtral et aussi voir les acteurs se dégourdir le corps et agir en danseurs. Je les observe s'échauffer et je vois comment les acteurs apprennent aux danseurs de s'échauffer l'appareil vocal avec tout ce que cela implique et je vois les danseurs expliquer le lego du corps aux acteurs et comment le mettre en marche avant un spectacle avec des techniques que la danse emploie. Ainsi, les limites s'effacent et je trouve ça prodige - humainement, et artistiquement.
http://www.theatreprospero.com/spectacle/hiver/
Interprètes dans le spectacle : Milaine Deroy, Kim Henry, Oliver Koomsatira et Alec Serra-Wagneur.
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