Le risque du cirque rencontre le style du hip hop
24 septembre 2012
Critique du spectacle ID du Cirque Éloize présenté à la Tohu.
- Oliver Koomsatira

Cirque Éloize : Théâtre T & Cie / Crédit : Valérie Remise.
Un jour, un homme a dit: « J'ai fait du cirque parce que je rêvais de voyager autour du monde. C'est le moyen le plus accessible et le plus beau que j'ai trouvé pour le faire. »
4 000 représentations et 436 villes dans 36 pays plus tard, on peut dire que son rêve a porté fruit ! Qui est donc ce rêveur qui a réalisé ce défi de taille monumental? Jeannot Painchaud, le président et directeur artistique de Cirque Éloize ainsi que le metteur en scène du spectacle ID présentement à l'affiche à la Tohu jusqu'au 6 octobre.
ID n'est certainement pas un spectacle de cirque traditionnel. Oh non ! On traite plutôt ici de cirque contemporain. Qu'est-ce que c'est? Eh bien, ce qui est particulier dans ce spectacle, c'est qu'il mélange douze disciplines de cirque aux danses urbaines telles que le break dance et le hip hop. Oui, vous avez bien compris. Pour ceux qui n'ont pas encore pris connaissance de cette oeuvre, ce qui doit être rare suite à son grand succès, ce spectacle prend forme au coeur de la rue. Immeubles, graffitis, briques, jeunes fringants, bref tout est là pour reconnaître n'importe quel coin de rue n'importe où sur la planète. Qui dit rue dit bien évidemment... des bboyz et des bgirlz, n'est-ce pas? Vous avez tout compris. Il y a parmi ces artistes quatre interprètes de danses urbaines très talentueux. C'est d'ailleurs rafraîchissant et inspirant de les voir sur scène, surtout vu que les artistes de ce secteur ont très peu d'avenues pour vivre de leur passion. Outre les compétitions annuelles et les vidéoclips, il n'y a pas tant de possibilités professionnelles pour ces artistes de rue et donc beaucoup d'entre eux sont forcés de partir outre-mer. Avec ID par contre, ils se mêlent soigneusement au monde du cirque grâce à l'aspect très urbain qui est théâtralisé à l'aide d'une légère trame narrative.
Deux autres disciplines sont exploitées de façon originale et fonctionnent à merveille dans l'oeuvre. Ce sont les patins à roues alignées et le vélo trial. Qu'est-ce que ça veut dire… il y a des gens qui font juste ça de leur vie? Le bicycle et les patins ne sont-ils pas réservés aux passes-temps? Quelqu'un peut vraiment gagner sa vie avec sa bécane? Eh bien, oui. Tel les circassiens spécialistes du mât chinois, de la roue cyr, des sangles, du cerceau aérien, de la contorsion ou du tissu aérien, ceux-ci sont maîtres de leur outil et ils en mettent plein la vue. On pense par exemple à Thibaut Philippe qui a tout simplement coupé souffle de ses spectateurs en grimpant partout sur scène sur une seule roue, aussi habillement qu'un pro d'escalade sait le faire. Ça doit être une victoire salivante pour cet artiste qui a dû se faire avertir des milliers de fois par des agents de sécurité et des policiers : « Hey toi ! T'as pas le droit d'être ici, c'est une propriété privée ! Scram ! » Maintenant, monsieur le hors-la-loi fait le tour de la planète et paie sa maison avec son bicycle, pas pire du tout… dans tes dents règlements municipaux.
Maintenant, nous savons tous que la grande force du cirque repose sur ses séquences acrobatiques surnaturelles. C'est un peu comme lorsque l'on regarde la crème de la crème aux jeux olympiques. Mais, qu'est-ce qui différencie un athlète phénoménal d'un artiste de scène touchant et engageant? Ça c'est une autre paire de manches et un très grand défi parce que ce n'est pas tous les super techniciens qui sont forcément de bons interprètes. Donc si un spectateur vient voir un spectacle et que l'athlète incomparable n'a pas de charisme, de présence scénique ou de justesse dans son jeu, qu'est-ce qui arrive? C'est comme regarder un gymnaste faire une routine. On sera certainement impressionné, mais peut-être pas touché par l'histoire. Les artistes de cette équipe sont bien évidemment à la fine pointe de leur technique, mais quand il vient le temps de nous engager dans le conflit des deux gangs rivales ou dans l'histoire d'amour qui déchirent les deux amants, sont-ils assez justes et convaincants pour nous le faire ressentir? Je peux vous dire qu'au-delà de leurs prouesses acrobatiques, l'un des numéros les plus touchants est sans doute celui interprété par Emi Vauthey et Xuan Le. Elle, déesse vaporeuse virevoltant passionnément dans son long tissu aérien tout blanc, lui, planant magnifiquement à travers la brume avec ses patins à roue alignées. Ces deux artistes ont raconté une histoire d'amour puissante, authentique et poétique où l'homme n'arrive jamais à atteindre l'objet de son désir le plus profond. Voilà un exemple parfait du cirque à son meilleur : nous oublions complètement que ce sont des circassiens et nous voyons juste deux êtres qui vivent des émotions fortes tout en les cristallisant à l'aide de leur prouesse physique. Tout était au rendez-vous pour nous captiver; chorégraphie, interprétation, musique, éclairage.
Un autre numéro qui vient vraiment stimuler tous nos sens sans jamais échapper la balle est sans doute celui du trampomur. Euh… mais qu'est-ce qu'un trampomur? Une trampoline attachée après un mur? Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette invention, c'est tout simplement une trampoline placée contre un mur de façon à ce que les artistes puissent rebondir dessus et se propulser contre le mur à différents niveaux et sur les plateformes. Rien de très spécial vous devez penser. Mais c'est justement là que le génie de la chorégraphie prend place. Avec plusieurs artistes rebondissant les uns par-dessus les autres, se croisant rapidement à quelques pouces de distance, disparaissant à travers des portes s'ouvrant une fraction de seconde avant l'atterrissage des artistes qui s'y faufilent et avec des projections qui sèment l'illusion que chaque brique entre et sort du mur en continu, nous sommes tout-à-fait éberlués par l'ensemble de l'oeuvre. Vraiment du début à la fin, ce numéro vient en mettre plein la vue.
En somme, ID est un spectacle coloré, léger, original et spectaculaire. Tout le monde est certain d'en retirer de très beaux souvenirs. Définitivement une expérience à vivre. Vous avez donc jusqu'au 6 octobre. Pour plus détails sur l'oeuvre, visitez le site web de la Tohu.
http://tohu.ca/fr/a-la-tohu/spectacles/id.html
Extraits du spectacle.