L'exorcisme de six interprètes chevronnés
15 novembre 2012v
Critique du spectacle Terminus de Charmaine LeBlanc présenté par Danse-Cité.
- Oliver Koomsatira
Benoît Lachambre dans Terminus. Crédit Nicolas Ruel.
On en parle de plus en plus. La maladie mentale touche un québécois sur cinq au courant de leur vie. Bien qu’on aimerait imaginer que nos artistes soient à l’abris de ce fléau, les nouvelles à potins nous prouvent que c’est loin d’être le cas. On pense peut-être à Britney Spears qui pète les plombs et se rase la tête, Lindsay Lohan qui se promène tel un véritable danger public d’un centre de désintoxication à l’autre, Kanye West qui attaque un papparazzi, Rihanna qui se fait tabasser par son copain Chris Brown ou encore Justin Bieber qui conduit comme dans un film d’action pour se sauver des obsédés qui ne le laissent pas tranquille rien qu’un instant. En y pensant, c’est vrai que le monde du
« showbizz » n’est peut-être pas le meilleur contexte pour avoir une bonne santé mentale… Comme en témoignent les partages quelque peu troublant des interprètes du spectacle Terminus de Charmaine LeBlanc, on a l’impression que les danseurs contemporains ont eux aussi leur charge de démons qui les hantent, quelque soit le nombre de prix qu’ils aient pu remporter ou le nombre de représentations qu’ils aient à leur actif. Hélas, le succès professionnel ne règle pas tous les problèmes.
Munie d’une distribution de rêve, Charmaine LeBlanc a mis de l’avant un spectacle qui vient boucler le cycle d’une trilogie sur laquelle elle travaille depuis huit ans. Il n’y a aucun doute qu’elle et son public sont choyés de retrouver de si près les grands artistes que sont Marc Béland, Marc Daigle, Benoît Lachambre, Jane Mappin, Mathilde Monnard et Carol Prieur, le tout à une proximité physique et émotionnelle déstabilisante ! Quelle est donc la question que la créatrice posa à ses interprètes afin d’entamer le processus de création? « Après trois millions d’heures collectives passées sur cette planète, quelle est LA chose que vous souhaitez dire au public? » La réponse? Pas nécessairement ce qu’on aurait pu imaginer venant des gens de tous les jours. Certainement pas ce qu’on voudrait partager avec un prêtre dans le confessionnal non plus… Disons que ces artistes se sont bel et bien fusionnés à leur discipline et que celle-ci aura peut-être absorbé tout ce qu’ils avaient à leur disposition comme énergie vitale et spirituelle. Après tout, les psychologues nous disent qu’il y a plusieurs éléments essentiels au bonheur et à la paix intérieure, incluant le sentiment d’avoir un contrôle sur sa vie, la stabilité financière, la santé physique, l’équilibre entre les différents aspects de sa vie, le sentiment d’appartenance à un groupe, etc. Disons que la vie d’artiste ne reçoit pas la meilleure note dans ce département… On pense à l’artiste qui est à la merci du pouvoir de son chorégraphe ou metteur en scène, audition après audition; à la précarité financière accablante qui reflète les failles de l’industrie; les blessures et surmenages liés à l’ultra performance requise pour réussir et se tailler une place. En effet, ce n’est pas toujours rose rose dans ce monde là !
Avec tout ce bagage très lourd, on imagine qu’on serait invité à voir une tragédie grecque. Après tout, ce n’est jamais très intéressant les crises existencielles, c’est pourquoi on cherche à s’en sortir au plus chr%*§?#. Heureusement, la créatrice n’est pas trop tombée dans le piège de l’art-thérapie. Autrement dit, peut-être que tes problèmes personnels sont intéressants pour toi, mais ça se peut que ça ne soit pas le cas pour ton voisin ou ton public. C’est pour ça que Dr. Phil a besoin d’être un sale trou de cul scandalisant pour avoir des cotes d’écoute, si non ça serait ben trop plate de voir dépressif après dépressif s'ouvrir les veines encore et encore. Du côté de Terminus nous avons été très heureux qu’il y ait des tableaux rigolos pour nous faire voir la lumière au bout du tunnel qu’est la vie misérable. Je pense par exemple au délicieux combat de boxe entre Marc Béland et Carol Prieur qui, tel une séance de thérapie, se tapent dessus en criant tout ce qu’ils auraient voulu crier à ceux à qui ils ne pourront jamais le faire pour quelque raison que ce soit, chaque « round » se terminant toujours avec un petit calin pissant. Notons aussi le solo le plus quétaine et cliché imaginable de la part de Benoît Lachambre dans lequel il se déplace à coup de pas de bourrée avec des gants de boxe en guise de chaussons de ballet. Il s’assura d’épuiser tous les mouvements les plus utilisés de la danse contemporaine pour qu’on ait droit à un déjà vu/seconde. C’était aussi drôle que douloureux à regarder.
D’un côté plus dramatique et conceptuel, il y a eu un tableau très frappant durant lequel Marc Béland performa un solo sur la trame ultra malaisée de sa propre voix. Petite parenthèse, vous serez peut-être intéressés de savoir que cet artiste polyvalent mieux connu à titre de comédien a dansé pour La La La Human Steps. Comment? Eh oui, maintenant vous le savez. Je ne vous dirai certainement pas ce qu’il racontait en voix hors champ, vous risqueriez d’appeler la police. Appeler la police se réserve seulement à ceux qui sont allés voir le spectacle. Bon. Un petit instant, je trouve mon téléphone… 9… 1… Une autre capsule très percutante de la soirée est sans doute le duo dans lequel Benoît Lachambre et Carol Prieur s’affrontent torse nu comme des samouraïs avec non pas une mais bien deux épées chacun. On voit ici le travail d’une grande présence scénique de la part de ces artistes chevronnés. Je ne vous dis pas qui a gagné le combat, juste que c’était la force du bien contre celle du mal. Blanc contre noir, Luke Skywalker contre Darth Vader, la démocratie contre la dictature, Dieu contre Satan, Charbonneau contre la ville de Montréal… Bon d’accord, d’accord. Vous avez compris le principe.
Je ne pourrais certainement pas vous quitter sans mentionner les vidéos fantastiques réalisés par Marlene Millar dans lesquels nous retrouvions individuellement chacun de nos protagonistes avec leurs complexes destructeurs respectifs qui les dévoraient bouchée par bouchée, « freeze frame » par « freeze frame ». Le vidéo au complet est en soi une oeuvre d’art qui se tient de manière indépendante. Bravo au concepteur visuel Pol Turgeon et au caméraman Zacharie Fay pour cette contribution. Peut-être même au photographe Anthony McLean. Difficile de dire où le travail de l’un commence et celui de l’autre fini. Bref, beau vidéo ! Un autre grand bravo à l’équipe de Danse-Cité pour avoir inclu les biographies de tous les artistes faisant partie de l’oeuvre dans le programme. S’il y a quelque chose d’assez frustrant et irrespectueux, c’est d’avoir une page et demi complète sur le chorégraphe et rien du tout pour le reste de l’équipe. Voilà. Terminus a lieu à la salle Les Ateliers Jean-Brillant jusqu’au 24 novembre; à deux minutes du métro Lionel-Groulx.
Pour plus de détails sur le spectacle visitez le site web de Danse-Cité.
http://www.danse-cite.org/fr/spectacles/2012/terminus
Bande-annonce de Terminus.