Un festin chorégraphique aux saveurs internationales
11 mai 2012
Critique des Bancs d'essai internationaux présenté par le diffuseur Tangente.
- Mandana Anahita (Bio)
Babacar Cissé - « Le syndrome de l'exilé » - Crédit Frédéric Chais
Les laboratoires de mouvements contemporains de Tangente, c’est voir au-delà de ce qui est vu, de ce qui est projeté. Cet espace interne que nous parvenons à ressentir avec la danse, loin de l’art de la performance pour soi ou pour les autres mais plus proche de la transmission de ce qui est ressenti, le ludique, l’intemporel, le non-mesuré, le risqué, le spontané, l’innée, l’espace plasmatique qui nous relie tous les uns aux autres, et comme dirait Kefirova « cette surface vibrante dans l’entre deux » qui est selon moi cette source spirituelle qui défie notre perception du temps réel et qui nous emporte dans un imaginaire impromptu.
Bienvenue dans cet espace de créateurs innovateurs bien rempli sur scène à l’occasion des Bancs d’essai internationaux. Cinq pays et tout un spectacle! Deux heures de représentation, de quoi combler Place des Arts très prochainement, je leur souhaite ! Ce que j’aime de la danse contemporaine, c’est lorsque l’imprécision des mouvements issue du gestuel naturel inné du corps trouve sa tangente en créant un alignement et un esthétisme magique dans sa symbiose avec le son et la lumière.
Un thème dominant flotte au travers des pièces : comment danser avec notre ombre, notre autre soi, l’autre qui nous fait miroir et nous confronte? Une magnifique orchestration nous attend, bousculant un peu nos débuts et fins de spectacle auxquels nous sommes tant attachés. Quelque chose relève de la pureté, de la transparence, de l’innocence et parfois l’absurde s’y ajoute, qui sous le chapeau de la caricature, amplifie notre abandon face à l’artiste.
Unattaching de Tanja Râman, sous le thème de la relation et de la rupture amoureuse, le duo interprété avec son collègue Iain Payne éclate au grand jour cette résistance à se détacher. Dans une gestuelle représentant la fragilité du lien, Raman nous emporte dans un lieu qui nous est familier, la recherche de l’autre, son miroir dans la résistance. Vêtus de pantalons style samourai, tous deux le torse nu, la chorégraphe nous transporte dans cet espace souple mais à la fois indocile par lequel nous recherchons cette unité avec l’autre soi, où le masculin et le féminin ne font qu’Un. Composée parallèlement avec une projection reflétant l’écriture chorégraphique, nous nous sentons enchaînés dans un tourbillon aux tracés fins et répétitifs, un vrai appel du cœur nous charme.
Tout aussi touchant et marquant, l’œuvre de Babacar Cissé, dans Syndrome de l’exilé où trois extraits d’une œuvre intégrale de 60 minutes nous sont présentés. Un syndrome est le résultat de symptômes affectant plusieurs espaces en dans un seul temps. Qui est l’exilé en nous? L’exilé est celui qui quitte sa terre natale souvent forcé, mais on y trouve aussi des exils plus subtils, où l’âme nous lance une perche pour nous évader afin de mieux nous sentir chez nous. Magnifiquement mis en scène par Cissé, nous nous sentons envelopper au cœur du personnage, partageant ses angoisses, sa joie, ses illusions, ses espoirs dans une innocence musclée. Des mouvements inspirés du break dance s’harmonisent avec la danse africaine, une danse qui coule et nous libère des paramètres hiérarchiques habituels en danse contemporaine. L’exil c’est aussi voir son pouvoir glisser entre ses mains dans la recherche d’un renouveau. C’est un terrain glissant pour l’âme déjà enchaînée dans un corps minuté par le temps de ce siècle. Cissé incarne mot à mot ce qu’il nous fait ressentir, en jetant deux sauts d’eau sur scène enchaînant sur l’eau avec des acrobaties calligraphiées par le break dance. En effet, jouer avec la gravité mais également avec des paramètres physiques et visuels, rend le travail de ce jeune danseur d’une qualité exceptionnelle.
Après le jeu dimensionnel de Babacar, dans une projection puriste de son ombre en mouvement, la bulgare Maria Kefirova nous fait découvrir Corps.Relations « une fascinante enquête dans la façon dont le corps est perçu (…) par un dispositif ludique ». Une télévision, son portrait filmé qui nous explique sa définition et sa vision de la danse. Elle nous parle de son entrée idéale sur scène par un plié et de belles pirouettes pour ironiquement entrée sur scène en vêtement de nuit avec le hoquet et un bol d’eau entre les mains. Ce jeu d’humour ouvre la scène lorsque l’artiste dissocie littéralement son corps de son esprit, mettant en scène la clarté d’une danse fluide et contemporaine dans un dialogue avec sa propre projection en image. Elle sait mettre en contraste ce qui est vu, ce qui est perçu et ce qui est ressenti en réalité par le danseur, afin d’ébranler l’auditoire et se libérer de trajectoires sémiologiques déjà préconçues en danse contemporaine. Kefirova allie avec force l’incommode et la technique contemporaine, créant une relation tout à fait unique entre elle et son auditoire. Un être attachant derrière le danseur se révèle soudainement.
4 ème représentation de la soirée, Daniele Ninarello, jeune chorégraphe italien nous présente Bianconido. Seulement une décennie que cet artiste se risque dans la traversée de la danse contemporaine, et un chef d’œuvre est né pour cette première mondiale. Basé entre autre sur la technique de composition instantanée, quelle belle manière de nous confronter avec l’instant, ce moment de suspension entre l’inspiration et l’expiration où le temps pourrait s’arrêter sans prévenir. La vibration devient une trame répétitive dans sa composition gestuelle, je dirais même corporelle, et nous enlise dans une histoire à la fois tragique et touchante, où l’espace de la lumière se projette sur nous et nous miroite la pure réalité de l’espace/temps à l’intérieur de nous, qui nous presse, ou nous compresse. Une superbe interprétation qui perce au-delà de la danse, presque au niveau cinématographique. La recherche kinesthésique est amplement investie dans cette pièce si bien que le danseur aux yeux bandés me fait danser à travers lui.
Déjà largement nourrie de toutes ces impressions visuelles, sensorielles et sonores, deux autres interprètes entrent en scène avec légèreté et insouciance. Arno Schuitemaker, un autre mordu de la danse, cet artiste multidisciplinaire du Pays-Bas, nous dévoile The Fifteen Project grâce aux deux interprètes Manel Salas Palau, et Iker Arrue Mauleon. Sous l’alliance asymétrique de mouvement en miroir, notre attention s’accrue dans le tempo imposé par la musique instrumentale, le souffle et le jeu de contact-improvisation qui soumet les danseurs à la loi de la gravité, développant gestuellement un faisceau de mouvement se miroitant sans cesse. Une fois de plus, le thème du risque, de la dualité chronique, du syndrome de la recherche de l’identique s’entremêle avec notre attente incorruptible de faire sens à ce qui est vu.
Pour plus de détails sur Les Bancs d'essais internationaux, visitez le site web de Tangente.
http://www.tangente.qc.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=46&lang=fr
Extraits de The Fifteen Project de Arno Schuitemaker.
Bienvenue dans cet espace de créateurs innovateurs bien rempli sur scène à l’occasion des Bancs d’essai internationaux. Cinq pays et tout un spectacle! Deux heures de représentation, de quoi combler Place des Arts très prochainement, je leur souhaite ! Ce que j’aime de la danse contemporaine, c’est lorsque l’imprécision des mouvements issue du gestuel naturel inné du corps trouve sa tangente en créant un alignement et un esthétisme magique dans sa symbiose avec le son et la lumière.
Un thème dominant flotte au travers des pièces : comment danser avec notre ombre, notre autre soi, l’autre qui nous fait miroir et nous confronte? Une magnifique orchestration nous attend, bousculant un peu nos débuts et fins de spectacle auxquels nous sommes tant attachés. Quelque chose relève de la pureté, de la transparence, de l’innocence et parfois l’absurde s’y ajoute, qui sous le chapeau de la caricature, amplifie notre abandon face à l’artiste.
Unattaching de Tanja Râman, sous le thème de la relation et de la rupture amoureuse, le duo interprété avec son collègue Iain Payne éclate au grand jour cette résistance à se détacher. Dans une gestuelle représentant la fragilité du lien, Raman nous emporte dans un lieu qui nous est familier, la recherche de l’autre, son miroir dans la résistance. Vêtus de pantalons style samourai, tous deux le torse nu, la chorégraphe nous transporte dans cet espace souple mais à la fois indocile par lequel nous recherchons cette unité avec l’autre soi, où le masculin et le féminin ne font qu’Un. Composée parallèlement avec une projection reflétant l’écriture chorégraphique, nous nous sentons enchaînés dans un tourbillon aux tracés fins et répétitifs, un vrai appel du cœur nous charme.
Tout aussi touchant et marquant, l’œuvre de Babacar Cissé, dans Syndrome de l’exilé où trois extraits d’une œuvre intégrale de 60 minutes nous sont présentés. Un syndrome est le résultat de symptômes affectant plusieurs espaces en dans un seul temps. Qui est l’exilé en nous? L’exilé est celui qui quitte sa terre natale souvent forcé, mais on y trouve aussi des exils plus subtils, où l’âme nous lance une perche pour nous évader afin de mieux nous sentir chez nous. Magnifiquement mis en scène par Cissé, nous nous sentons envelopper au cœur du personnage, partageant ses angoisses, sa joie, ses illusions, ses espoirs dans une innocence musclée. Des mouvements inspirés du break dance s’harmonisent avec la danse africaine, une danse qui coule et nous libère des paramètres hiérarchiques habituels en danse contemporaine. L’exil c’est aussi voir son pouvoir glisser entre ses mains dans la recherche d’un renouveau. C’est un terrain glissant pour l’âme déjà enchaînée dans un corps minuté par le temps de ce siècle. Cissé incarne mot à mot ce qu’il nous fait ressentir, en jetant deux sauts d’eau sur scène enchaînant sur l’eau avec des acrobaties calligraphiées par le break dance. En effet, jouer avec la gravité mais également avec des paramètres physiques et visuels, rend le travail de ce jeune danseur d’une qualité exceptionnelle.
Après le jeu dimensionnel de Babacar, dans une projection puriste de son ombre en mouvement, la bulgare Maria Kefirova nous fait découvrir Corps.Relations « une fascinante enquête dans la façon dont le corps est perçu (…) par un dispositif ludique ». Une télévision, son portrait filmé qui nous explique sa définition et sa vision de la danse. Elle nous parle de son entrée idéale sur scène par un plié et de belles pirouettes pour ironiquement entrée sur scène en vêtement de nuit avec le hoquet et un bol d’eau entre les mains. Ce jeu d’humour ouvre la scène lorsque l’artiste dissocie littéralement son corps de son esprit, mettant en scène la clarté d’une danse fluide et contemporaine dans un dialogue avec sa propre projection en image. Elle sait mettre en contraste ce qui est vu, ce qui est perçu et ce qui est ressenti en réalité par le danseur, afin d’ébranler l’auditoire et se libérer de trajectoires sémiologiques déjà préconçues en danse contemporaine. Kefirova allie avec force l’incommode et la technique contemporaine, créant une relation tout à fait unique entre elle et son auditoire. Un être attachant derrière le danseur se révèle soudainement.
4 ème représentation de la soirée, Daniele Ninarello, jeune chorégraphe italien nous présente Bianconido. Seulement une décennie que cet artiste se risque dans la traversée de la danse contemporaine, et un chef d’œuvre est né pour cette première mondiale. Basé entre autre sur la technique de composition instantanée, quelle belle manière de nous confronter avec l’instant, ce moment de suspension entre l’inspiration et l’expiration où le temps pourrait s’arrêter sans prévenir. La vibration devient une trame répétitive dans sa composition gestuelle, je dirais même corporelle, et nous enlise dans une histoire à la fois tragique et touchante, où l’espace de la lumière se projette sur nous et nous miroite la pure réalité de l’espace/temps à l’intérieur de nous, qui nous presse, ou nous compresse. Une superbe interprétation qui perce au-delà de la danse, presque au niveau cinématographique. La recherche kinesthésique est amplement investie dans cette pièce si bien que le danseur aux yeux bandés me fait danser à travers lui.
Déjà largement nourrie de toutes ces impressions visuelles, sensorielles et sonores, deux autres interprètes entrent en scène avec légèreté et insouciance. Arno Schuitemaker, un autre mordu de la danse, cet artiste multidisciplinaire du Pays-Bas, nous dévoile The Fifteen Project grâce aux deux interprètes Manel Salas Palau, et Iker Arrue Mauleon. Sous l’alliance asymétrique de mouvement en miroir, notre attention s’accrue dans le tempo imposé par la musique instrumentale, le souffle et le jeu de contact-improvisation qui soumet les danseurs à la loi de la gravité, développant gestuellement un faisceau de mouvement se miroitant sans cesse. Une fois de plus, le thème du risque, de la dualité chronique, du syndrome de la recherche de l’identique s’entremêle avec notre attente incorruptible de faire sens à ce qui est vu.
Pour plus de détails sur Les Bancs d'essais internationaux, visitez le site web de Tangente.
http://www.tangente.qc.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=46&lang=fr
Extraits de The Fifteen Project de Arno Schuitemaker.