Lucie Grégoire face à l'infini
5 novembre 2018
Article à propos du spectacle Territoires de Lucie Grégoire présenté du 7 au 10 novembre à l'Agora de la danse et les 12, 13 novembre lors de Cinars.
- Oliver Koomsatira
En Amérique du Nord, beaucoup de citadins sont rongés par le stress qu’engendre notre rythme de vie effréné. Entre gagner sa vie, accomplir ses tâches professionnelles, élever ses enfants, épargner pour sa retraite, militer pour une multitude de causes sociales et environnementales, bien des esprits se brûlent dans le processus. Par chance, on a les médias sociaux pour espionner la vie parfaite de nos pairs. Mon Dieu, ils sont chanceux d’avoir de belles vacances devant l’immensité de l’horizon. Flûte! Mais dans tout ça, pourquoi notre culture nous pousse à travailler jusqu’à l’épuisement et créer de la souffrance pour ceux qui nous entourent au lieu de ralentir et de témoigner de la beauté sans borne de notre planète qui vit présentement une déchéance écologique sans précédent? Eh bien, ce sont ces grands espaces, l’infini et l’horizon qui inspirent Lucie Grégoire depuis des décennies. Elles nous en dit un peu plus sur ce qui l’alimente dans cette nature époustouflante. « Il y a une question d’immensité dans ces lieux-là (l’Arctique, le Sahara, l’Islande). Ce sont des forces extrêmes de la nature qui nous connectent avec soi-même, avec le cosmos, la terre. Quand je me retrouve dans ces lieux-là, je me sens à ma place, comme si je revenais aux sources de moi-même. Il y a aussi la notion de silence, d’immobilité et de solitude. Tu te sens petite face à l’immensité de l’univers, mais tu sens aussi que tu en fais partie. Le rapport à l’horizon m’inspire par son infinitude, par son regard sans fin. À l’intérieur de toi, c’est comme si tes yeux basculaient derrière ton cerveau. »
Évidemment, il est difficile d’imaginer toutes les nuances de tels espaces lorsqu’on a pas eu la chance de les visiter soi-même. C’est pourquoi la chorégraphe a pris le temps d’expliquer ce qu’elle a vu à ses interprètes Isabelle Poirier, Kim Henry et James Viveiros : « Dans Territoires, je parle beaucoup des espaces désertiques que j’ai visités. Ils n’y sont pas allés, je leur parle donc des images qui sont liées à cette gestuelle. Ensuite, ils peuvent en faire ce qu’ils veulent, trouver leurs propres associations et leur propre imagerie. Je leur donne le plus de matière possible à tous les niveaux pour qu’ils puissent ensuite se les approprier. Évidemment, il y a toujours mon regard et celui de ma répétitrice avec qui je travaille depuis longtemps pour s’assurer qu’on va dans la direction que je cherche, pour ajuster et pour transformer. » Sa recherche est allée bien loin pour s’inspirer également du chamanisme. C’est ainsi qu’elle en a fait part à son équipe : « Pour la structure de Territoires, j’ai tenté de nommer certains grands espaces : le désert chaud du Sahara, le désert froid de l’Arctique et le territoire chamanique. Ce dernier fait toujours un peu partie de ma création par son lien profond avec la nature. J’ai fait un séjour en Amazonie où les Achuars croient que tout est vivant et a un esprit : le vent, les arbres, l’air. Une des pièces que j’ai transmise à Kim, elle est un arbre. L’idée était de capter l’essence de l’arbre, gros, noueux, pas de feuilles, enraciné, par sa physicalité et ses mouvements. »
Évidemment, il est difficile d’imaginer toutes les nuances de tels espaces lorsqu’on a pas eu la chance de les visiter soi-même. C’est pourquoi la chorégraphe a pris le temps d’expliquer ce qu’elle a vu à ses interprètes Isabelle Poirier, Kim Henry et James Viveiros : « Dans Territoires, je parle beaucoup des espaces désertiques que j’ai visités. Ils n’y sont pas allés, je leur parle donc des images qui sont liées à cette gestuelle. Ensuite, ils peuvent en faire ce qu’ils veulent, trouver leurs propres associations et leur propre imagerie. Je leur donne le plus de matière possible à tous les niveaux pour qu’ils puissent ensuite se les approprier. Évidemment, il y a toujours mon regard et celui de ma répétitrice avec qui je travaille depuis longtemps pour s’assurer qu’on va dans la direction que je cherche, pour ajuster et pour transformer. » Sa recherche est allée bien loin pour s’inspirer également du chamanisme. C’est ainsi qu’elle en a fait part à son équipe : « Pour la structure de Territoires, j’ai tenté de nommer certains grands espaces : le désert chaud du Sahara, le désert froid de l’Arctique et le territoire chamanique. Ce dernier fait toujours un peu partie de ma création par son lien profond avec la nature. J’ai fait un séjour en Amazonie où les Achuars croient que tout est vivant et a un esprit : le vent, les arbres, l’air. Une des pièces que j’ai transmise à Kim, elle est un arbre. L’idée était de capter l’essence de l’arbre, gros, noueux, pas de feuilles, enraciné, par sa physicalité et ses mouvements. »
Du côté artistique, Lucie Grégoire crée depuis les années 80, donc vous pouvez comprendre qu’elle doit avoir énormément de matériel dans son répertoire! Que faire avec tout ce bagage? C’est ainsi qu’elle a entamé un processus de transmission aux prochaines générations qui s’enracinent de manière résolue dans notre panorama culturel. Elle nous en dit plus sur les raisons qui la motivent à partager son héritage : « Deux choses : le partage avec l’interprète à qui je transmets la pièce et un retour aux sources. De transmettre une pièce, comme je l’ai fait avec Isabelle Poirier en 2016 avec Les choses dernières, une pièce qui, 20 ans plus tard, était encore très présente à l’intérieur de moi-même, m’a permis de la faire vivre autrement. Les pièces que je choisis de transmettre ont leur place dans le monde contemporain. Dans cette optique, la transmission me fait avancer dans la création.
La transmission de mes pièces permet aussi un partage avec les autres générations. Ce sont souvent des pièces que je ne danse plus ce qui leur permet de perdurer dans le temps et de donner une continuité à mon travail. Les pièces continuent d’exister et d’être vues, mais avec de nouveaux regards, de nouveaux danseurs et de nouveaux spectateurs. Ça change aussi mon regard sur les pièces puisque les ayant dansées et écrites pour moi, les voir exister dans un autre corps permet un renouvellement continu.
La transmission devient pour moi presque une nouvelle création parce que même si la base, la structure chorégraphique et la gestuelle restent la même, elle se module complètement différemment dans le corps d’un autre danseur. Voir mon matériel chorégraphique dans ces nouveaux corps m’est très révélateur. »
La transmission de mes pièces permet aussi un partage avec les autres générations. Ce sont souvent des pièces que je ne danse plus ce qui leur permet de perdurer dans le temps et de donner une continuité à mon travail. Les pièces continuent d’exister et d’être vues, mais avec de nouveaux regards, de nouveaux danseurs et de nouveaux spectateurs. Ça change aussi mon regard sur les pièces puisque les ayant dansées et écrites pour moi, les voir exister dans un autre corps permet un renouvellement continu.
La transmission devient pour moi presque une nouvelle création parce que même si la base, la structure chorégraphique et la gestuelle restent la même, elle se module complètement différemment dans le corps d’un autre danseur. Voir mon matériel chorégraphique dans ces nouveaux corps m’est très révélateur. »
Comme vous pouvez l’imaginer, tous les processus de création sont différents d’un chorégraphe à l’autre, d’un spectacle à l’autre, d’un interprète à l’autre. C’est ainsi que celui de Lucie Grégoire se précise dans l’univers des solos. Elle nous partage comment elle a puisé dans des pièces antérieures pour créer cette nouvelle oeuvre : « Deux choses en même temps : le choix des interprètes et le choix des pièces à transmettre. Ça a pris un certain temps avant de faire une sélection des pièces qui formeront Territoires. Certaines choisies au début du processus ont été éliminées. Des solos ont été choisis spécifiquement pour James. Je ne les aurais pas choisis si ça n’avait pas été pour un danseur masculin. La qualité et la façon de bouger des interprètes ont aussi eu une part importante dans la sélection des solos que j’ai choisi de leur transmettre.
Une fois les solos choisis, nous avons regardé les vidéos des pièces choisies, mais la base de la gestuelle, c’est moi qui leur ai transmise pour qu’ils sentent comment le mouvement est dans mon corps. Ça leur a donné le dynamisme et la qualité du mouvement qu’ils puissent le transformer par la suite. Quand je transmets la gestuelle, je parle beaucoup de l’imagerie, de l’association du mouvement avec son contexte. Je leur dis ce qui m’habitait lors de leurs créations. »
Bien que la majorité du travail que la chorégraphe a créé a été dansée par elle ou des femmes, elle a cette fois-ci décidé d’inclure un homme dans son processus. Elle nous explique ce qui l’a poussé à inclure cette nouvelle facette à son travail : « C’est la première fois que je transmets mon matériel à un danseur masculin. Dans mon travail, j’ai beaucoup sondé la féminité et l’univers féminin. Je crois que chaque être porte en eux une part de féminin et de masculin. Essentiellement féminin, mon travail comporte toujours cette sous-couche, peut-être liée à cette masculinité que je porte en moi.
En 1989, dans mon premier long solo, j’incarnais un personnage androgyne et c’est petit à petit que j’ai sondé plus en profondeur l’univers féminin. Dans Territoires, je suis allée fouiller dans plusieurs solos. Je me disais que c’était le temps et la place. J’ai choisi les solos que j’allais transmettre à James Viveiros. Sa physicalité a été déterminante dans mon choix. C’est vraiment fascinant de voir mon matériel habité et dansé par un danseur masculin. Je ne connais pas la suite des choses, mais le petit fil ténu de la masculinité dans mon travail s’exprime complètement par la présence et la transmission à James. »
Une fois les solos choisis, nous avons regardé les vidéos des pièces choisies, mais la base de la gestuelle, c’est moi qui leur ai transmise pour qu’ils sentent comment le mouvement est dans mon corps. Ça leur a donné le dynamisme et la qualité du mouvement qu’ils puissent le transformer par la suite. Quand je transmets la gestuelle, je parle beaucoup de l’imagerie, de l’association du mouvement avec son contexte. Je leur dis ce qui m’habitait lors de leurs créations. »
Bien que la majorité du travail que la chorégraphe a créé a été dansée par elle ou des femmes, elle a cette fois-ci décidé d’inclure un homme dans son processus. Elle nous explique ce qui l’a poussé à inclure cette nouvelle facette à son travail : « C’est la première fois que je transmets mon matériel à un danseur masculin. Dans mon travail, j’ai beaucoup sondé la féminité et l’univers féminin. Je crois que chaque être porte en eux une part de féminin et de masculin. Essentiellement féminin, mon travail comporte toujours cette sous-couche, peut-être liée à cette masculinité que je porte en moi.
En 1989, dans mon premier long solo, j’incarnais un personnage androgyne et c’est petit à petit que j’ai sondé plus en profondeur l’univers féminin. Dans Territoires, je suis allée fouiller dans plusieurs solos. Je me disais que c’était le temps et la place. J’ai choisi les solos que j’allais transmettre à James Viveiros. Sa physicalité a été déterminante dans mon choix. C’est vraiment fascinant de voir mon matériel habité et dansé par un danseur masculin. Je ne connais pas la suite des choses, mais le petit fil ténu de la masculinité dans mon travail s’exprime complètement par la présence et la transmission à James. »
Quelles sont les prochaines aspirations de la chorégraphe suite à la présentation de son travail à l’Agora de la danse et à la Biennale Cinars? « Évidemment, j’ai le désir que Territoires se prolonge, de le présenter ailleurs. Mon dernier voyage était en Islande. Mon futur projet, s’il se concrétise, est d’y retourner en août 2019 pour y faire une pièce in situ avec des danseurs de la communauté islandaise, pour un groupe d’une dizaine ou une douzaine de personnes. » Pour plus d’information, visitez le site web de l’Agora de la danse. https://agoradanse.com/evenement/territoires/