Lucy a perdu son coeur, pauvre chouette !
29 mars 2012
Critique du spectacle Lucy Lost Her Heart de Theatre Junction Grand.
- Oliver Koomsatira
« Lucy Lost Her Heart » Crédit : James Stangroom.
L'Usine C se donne la mission de dénicher des spectacles de toutes formes et disciplines, souvent mélangées les unes aux autres, rendant le produit final impossible à qualifier. C'est le cas de Lucy Lost Her Heart de Theatre Junction Grand de Calgary. Ici, nous n'avons pas affaire à un spectacle de danse. Par contre, on y retrouve quelques petits passages où le corps est utilisé pour exprimer les états d'âmes de ces personnages fantômes. Nous n'avons pas affaire non plus à un spectacle de théâtre dans le sens propre du terme car il n'y a pas de trame narrative très claire ni de personnages spécifiques à qui se raccrocher en tant que tel. Se sont plutôt des archétypes racontant plusieurs histoires parallèles de manière poétique, la plupart du temps en adresse au public.
Le spectacle fonctionne bien lorsque les comédiens sont poussés dans des élans émotionnels incontrôlables les amenant à chanter comme dans une comédie musicale ou un show pop rock. Un point fort du spectacle est d'ailleurs l'univers musical et sonore du musicien Chris Dadge qui est l'homme orchestre « live » de la soirée. Celui-ci vient définir à tout moment l'univers dans lequel nous nous retrouvons d'un tableau à l'autre.
En somme, le créateur expérimente avec pas mal toutes les disciplines qui existent : le conte, la poésie, le théâtre, le mouvement, quelques parcelles de chorégraphie, la musique « live », la chanson, les installations scénographiques, qui sont d'ailleurs très intéressantes à observer dans leurs formes atypiques et leur capacité à se transformer instantanément, la diversité culturelle des interprètes, le bilinguisme, la projection, etc. Tous ces ingrédients sont brassés ensemble durant la soirée pendant que l'auteur Mark Lawes nous partage des monologues assez tristes. On parle de racisme, de guerre, de cannibalisme, de meurtres, de revenants, de ruptures amoureuses, de colonisation. Bref, on est prêt à s'ouvrir les veines. Heureusement, face à l'atrocité du sort des autres, les humains sont maintenant devenus doués dans le blocage de la réalité ou bien l'interruption de sentiments de compassion envers leurs confrères et leurs consoeurs. Ouin, pis y a fait 30 degrés la semaine passée, ça veut rien dire… c'est pas comme si il commençait à neiger à des places où il y a jamais de neige… Ouin, y a des millions d'enfants qui meurent de faim, qu'est-ce que tu veux que je fasse ? D'autres millions d'enfants vendus sur le marché de la prostitution juvénile, j'y peut rien. Des millions de réfugiés de guerre ou de changement climatique. C'est pas de ma faute.
La liste est longue et nous serions tous bien déprimés et prêts à sauter en bas du pont Jacques-Cartier si nous ressentions vraiment leur tristesse. Le pont plutôt que devant un métro parce qu'après tout, y a quand même du monde qui veut aller travailler, pas le temps de se faire retarder par un suicidaire, là. Et comment sommes nous devenus immunisés au sort des autres ? Facile ! Télévision, Youtube, Facebook, cinéma, livres, magazines, drogue, alcool, spectacle de théâtre pluridisciplinaire venant de l'ouest canadien… Non, malheureusement, ce soir on ne peut s'évader de la dure réalité. Nous sommes plongés face première dans la grande accumulation d'évènements attristants et madame Lucy en beurre épais. On en ressort avec une drôle de réalisation qui nous fait ressentir une certaine gratitude envers la vie. Celle d'avoir une certaine stabilité dans notre pays à l'histoire violente et injuste. Mais c'est le passé, on s'en torche, n'est-ce pas, c'est notre terre maintenant, et la langue ici, c'est le français, pas l'amérindien ! Je veux dire, l'English. Laissons faire les morts, on est bien ici, pas de guerre civile, pas de famine, pas d'épidémie, juste ben des jeunes fatigants qui pensent que l'éducation devrait être gratuite et accessible à tous… bande de hippies ingrats profiteurs de notre système sans faille ni magouille. Au cachot les communistes ! Qu'on les baillonnent !
Pour plus de détails sur Lucy Lost Her Heart, visitez le site web de l'Usine C. http://www.usine-c.com/fr/11-lucy-lost-her-heart.html
Des extraits du spectacle.